Comment Leclerc se joue de la crise
Leclerc anticipe une année 2012 extrêmement difficile pour la consommation en France mais pense pouvoir faire progresser ses ventes de 4% à 5% l’an prochain et contenir la hausse de ses prix malgré les demandes des industriels.
Après une hausse de chiffre d’affaires d’environ 5% en 2011, Leclerc devrait voir ses ventes résister en 2012, grâce à une stratégie de prix toujours très agressive, véritable marque de fabrique du distributeur, mais aussi au « drive », système de commandes sur internet et de retrait dans des magasins ou des dépôts qui compte déjà pour un tiers de la croissance du groupe.
« En 2012, nous serons à 4%-5% de croissance et en matière de prix, la hausse sera inférieure d’au moins un point à l’inflation », a déclaré à Reuters Michel-Edouard Leclerc, président de la deuxième enseigne de distribution en France derrière Carrefour.
Il affirme avoir cantonné la hausse des prix de l’enseigne à environ 2,1% en 2011, alors que l’inflation générale des prix en France atteint 3,2% et pour 2012, il anticipe une inflation comprise entre 3% et 3,5%.
Devancer Carrefour d’ici 2015
Leclerc, qui ambitionne de détrôner Carrefour d’ici à 2015, pense pouvoir faire progresser sa part de marché à environ 18% l’an prochain, contre 17,7% aujourd’hui, et atteindre la barre des 20% dans trois ans.
Pour gagner la bataille des parts de marché, Leclerc accepte de sacrifier ses marges, ce qui lui permet d’offrir des prix de 4% à 5% inférieurs à ceux de Carrefour. « Environ un tiers de la marge nette est affectée aux prix », a précisé le patron de Leclerc, indiquant que sa marge nette était de 1,8% en 2010.
La « coopérative de patrons » fondée en 1949 à Landerneau par Edouard Leclerc, père de Michel-Edouard, regroupe aujourd’hui près de 500 adhérents et n’hésite pas à investir 4 millions d’euros par an dans le contrôle des prix dans ses magasins.
Leclerc investit dans les prix bas sur les produits courants et limite les promotions à 13% du chiffre d’affaires, contre 18% à 20% chez ses concurrents.
Face à Leclerc, Carrefour bataille pour enrayer une perte continue de part de marché de ses hypermarchés en France.
Le groupe dirigé par Lars Olofsson a récemment reconnu la nécessité de pratiquer des prix plus bas et annoncé en octobre avoir réduit l’écart de 1% face à Leclerc. Ebranlé par une série d’errements stratégiques, une valse de dirigeants sans précédent et pas moins de cinq avertissements sur résultats en l’espace d’un an, Carrefour est hautement fragilisé.
Chiffre de l’institut Nielsen à l’appui, Michel-Edouard Leclerc estime avoir attiré 590.000 nouveaux clients cette année, pris essentiellement à son grand concurrent.
« C’est du jamais vu pour nous ! », s’est-il exclamé.
« Carrefour est le vrai seul grand distributeur mondial (…) Mais il est soumis par ses actionnaires (Colony Capital et Groupe Arnault, holding du PDG de LVMH Bernard Arnault NDLR) à une logique financière de rentabilité à court terme qui ne lui permet pas les actions de long terme nécessaires ».
« J’ai peur que son avenir, ce ne soit le démantèlement », a-t-il ajouté, faisant écho aux craintes de certains analystes.
Pessimisme pour la consommation en France
Dans un contexte économique plombé par la crise de la dette et les mesures d’austérité qu’elle entraîne, Michel-Edouard Leclerc affiche son pessimisme pour la consommation hexagonale.
Il dit anticiper une année 2012 «très difficile» avec tous les indicateurs au rouge: hausse du chômage, baisse des revenus des transferts (allocations familiales) et du capital, inflation supérieure à la hausse des revenus, renchérissement des loyers et de l’énergie.
Ambitions pour le drive
« Les dépenses contraintes vont augmenter, donc le pouvoir d’achat libérable sera bien moindre », dit-il, tablant sur une stagnation de la consommation dès février, une fois passés les effets des soldes et des chèques cadeaux distribués à Noël.
Des signes de faiblesse sont d’ores et déjà sensibles dans le textile et l’électroménager, ajoute-t-il.
Les bons scores de Leclerc sont d’ailleurs un signe, selon lui, de l’inquiétude des consommateurs qui se replient sur les distributeurs les moins chers.
L’an dernier, Carrefour et Casino ont vu les ventes de leurs hypermarchés baisser en France, tandis que le chiffre d’affaires de Leclerc (constitué à 80% par ses hypermarchés) a progressé de 5,1% hors essence, à 28,6 milliards d’euros.
Leclerc compte 672 magasins en Europe, dont 555 en France.
Diversifié dans les produits culturels – il est devenu la deuxième librairie de France derrière la Fnac (groupe PPR ) – les bijoux, la parapharmacie, la parfumerie, l’optique ou le bricolage, Leclerc réalise aussi 15% de ses ventes dans ces enseignes spécialisées.
Le «drive», en pleine explosion, devrait quant à lui voir sa part atteindre 10% des ventes en 2015 (5% aujourd’hui) avec environ 400 de ces points de retrait (100 aujourd’hui).
Alors que les négociations tarifaires viennent de débuter avec les industriels, les discussions s’annoncent comme toujours très rudes, avec des hausses de prix demandées atteignant 24% dans le sucre, 12% dans le café ou 11% dans la volaille.
« Bien évidemment, nous arriverons très loin de tout ça », a lancé Michel-Edouard Leclerc, ajoutant non sans malice que le retrait de certains de ses fournisseurs faute d’accord au printemps dernier (des produits Lactalis ou Pernod Ricard ne sont pas en rayon cette année) n’avait nullement nui à son chiffre d’affaires.
Père de quatre enfants, amateur d’art contemporain, de vins et de musique, Michel-Edouard Leclerc se fixe comme nouvelle frontière de réussir à faire de l’enseigne une marque globale multicanal, ajoutant à sa panoplie (hypers, pôles spécialisés et drive) un site internet marchant «pure player», à la fin 2012.
[via] Reuters, 20minutes.fr