Leur amitié est née dans la tempête de Xynthia
Sur les décombres de la tempête qui a balayé la côte vendéenne il y a un an, une complicité pleine de tendresse s’est nouée entre Élisabeth Tabary et Gisèle Arnault. La première a vu disparaître son mariet son petit-fils, mort de froid dans ses bras. Gisèle Arnault a perdu son père.
C’est une femme toute en rondeurs généreuses, avec un regard radar. Ancienne cadre de santé dans le Maine-et-Loire, Élisabeth, 64 ans, a perdu son mari et son petit-fils lors de Xynthia. L’eau est entrée partout dans leur maison de La Faute-sur-Mer. Le mari d’Elisabeth s’est noyé, son petit-fils de deux ans est mort de froid dans ses bras. Elle a survécu, mais se demande encore comment et surtout, pourquoi. Quand elle a vu son petit-fils « partir », elle s’est laissée couler. « Je voulais mourir ».
Elle s’est réveillée à l’hôpital. « J’ai eu l’impression de me réveiller d’un cauchemar. » Depuis, avec des amis et des proches, elle a reconstitué le puzzle éclaté d’une nuit d’épouvante. Elle revoit son mari lui dire « on est foutus, la digue a pété », entend la voix de sa soeur, venue en urgence, « qui me parlait ».
Gisèle a 41 ans, un mari et deux enfants, une fille et un garçon, de 12 et 14 ans. Dans cette nuit du 27 au 28 février, elle a perdu son père à La Faute-sur-Mer. Quand elle a vu, d’une petite lucarne de sa maison, des coulées d’eau arriver, elle a tout de suite pensé à lui. Il habitait à deux pas du camping municipal, dévasté par les torrents d’eau déversés par un fleuve débordant. Au lever du jour, son mari a pris le risque d’aller voir.
Quand il est revenu, Gisèle a compris. « J’ai hurlé, dit non, non, non ! » Elle n’a pas voulu y croire. Et puis, la réalité l’a rattrapée. Quand elle a vu débarquer un à un les naufragés de Xynthia au gymnase. « Je voyais les voisins de papa qui arrivaient. » Mais pas lui. Jusqu’au bout, elle a voulu croire qu’il était en vie. Puis elle a appris, par un employé communal, ce qui était arrivé à Élisabeth, l’a appelée à l’hôpital de La Roche-sur-Yon.
Après, il a fallu apprendre à vivre avec Xynthia. Apprivoiser l’absence d’êtres chers, accepter l’insupportable injustice des disparitions, supporter la polémique, apercevoir les regards en coin, les voix qui baissent d’un ton à son passage, et vivre, malgré tout. Un an après, Xynthia est toujours là. Dans les têtes, dans les conversations, dans les nuits sans sommeil et les petits matins comateux.
Dans ce chaos affectif, les deux femmes se sont trouvées. Elles se connaissaient avant le drame, puisqu’elles vivaient à quelques rues d’écart. Et puis Gisèle faisait du ménage chez Élisabeth et son mari. « On ne regardait pas toujours ce qu’elle avait fait comme ménage », la taquine aujourd’hui Élisabeth.
« Il faut continuer à vivre »
Au fil du temps, des relations de confiance étaient nées. « Quand je partais à Angers, voir ma famille, et que Francis était trop fatigué pour venir, je lui laissais les clés, je savais que je pouvais compter sur elle. »
L’amitié a pris corps sur les décombres de Xynthia, a donné naissance à de la tendresse. Les deux femmes sont devenues plus complices que jamais malgré leur « exil » forcé. Gisèle a émigré à Angles, à quelques kilomètres, Élisabeth s’installant à L’Aiguillon. « Élisabeth, c’est comme ma deuxième maman, aime répéter Gisèle, qui a perdu la sienne avant Xynthia. Elle m’apaise, me donne des conseils si j’ai un doute, elle me rassure… » Un silence et cette hypersensible ajoute : « Comme une maman, quoi. »
Une « fille » adoptive qui s’est beaucoup occupée d’Élisabeth après Xynthia. Cette dernière n’avait goût à rien. La vision des gens heureux de l’été achevait parfois de la démoraliser. Et les idées noires lui trottaient dans la tête. « Gisèle m’a beaucoup aidée, elle m’a appelée, elle me forçait un peu à sortir, à aller au cinéma, elle m’a même amenée à la plage. »
Les deux familles endeuillées ont repris de vieux rituels. Pour un oui pour un non, parce qu’elle en a envie, Gisèle passe voir Élisabeth dans sa nouvelle maison de L’Aiguillon, où la retraitée est en location. Élisabeth reprend peu à peu pied. « Je me force un peu à sortir parfois. » Elle s’est même mise à l’anglais, prend des cours d’aquagym et est devenue bénévole dans une association. Bientôt, elle s’installera dans une nouvelle maison, qu’elle vient d’acheter à L’Aiguillon. « Elle sera plus petite qu’à La Faute, mais c’est pas grave. »
Et puis elle témoigne sur la catastrophe. On l’a vue dans des reportages consacrés à Xynthia. Pleine de retenue et d’élégance. Elle sera sur le plateau de Patrick Poivre d’Arvor, ce soir, à 22 h 10, sur France 3, pour raconter ce qu’elle a vécu cette nuit-là. « Parce qu’il faut continuer à vivre, dit-elle simplement, même si je ne me vois pas beaucoup d’avenir. » Gisèle sera là, à ses côtés. En coulisses. Pour la soutenir. Car la soirée va réveiller de vilains souvenirs.
[via] Philippe Ecalle, ouest-france.fr