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Elles fabriquent encore la dentelle des reines

Photos : Stéphane Geufroi

Concentration extrême dans l’atelier national du point d’Alençon : sept dentellières et deux apprentis perpétuent un savoir-faire inscrit en 2010 au patrimoine de l’humanité.

À Alençon, l’atelier national conserve un savoir-faire qui vient d’être inscrit au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Les dentellières, rejointes par deux jeunes apprentis, ont de l’or dans les doigts et la passion au coeur.

Si ça s’arrêtait, on n’aurait pas réussi l’oeuvre de notre vie. » Dans leur atelier baigné de lumière, les dentellières d’Alençon perpétuent sans faillir la tradition. À points minuscules et minutieux, en silence, elles fabriquent l’une des dentelles les plus précieuses au monde : le point d’Alençon. La parure des reines, un travail à l’aiguille dont la difficulté surpasse les métiers d’art les plus exigeants. Autour d’elles, le décor est nu, la seule richesse est entre leurs mains.

Elles ont décidé de faire de la dentelle comme on entre en religion. Et penchées sur leur grande table ovale en bois blond, les dentellières d’Alençon créent des merveilles. On compte en moyenne sept heures de travail pour réaliser un centimètre carré tant les opérations sont nombreuses. Dans un petit point qui ressemble à un cristal de neige d’environ 2 mm de diamètre, comptez 47 passages de fil…

Elles ne sont plus que sept, quand la ville a compté des milliers d’ouvrières aux XVIIIe et XIXe siècles. Leur Atelier national, qui dépend du ministère de la Culture, protège jalousement leur métier et leur tranquillité. On n’y entre pas. C’est une bulle dans la ville, à l’abri dans les locaux d’un ancien collège de Jésuites. Pas tout à fait une réserve d’Indiens, puisqu’elles viennent d’accueillir deux apprentis, Charlène et Thomas. Le premier garçon de l’histoire de l’atelier, conquis par la dentelle après une formation en ébénisterie.

Jour après jour, elles réalisent des copies de modèles anciens, des « pièces du répertoire » comme à la Comédie-Française. L’atelier cumule les missions de conservation, de transmission, de recherche et de création. On y retrouve les points dont la technique s’est perdue, on y transpose, en dentelle, des oeuvres d’artistes contemporains.

Un gros coup de projecteur vient de les éclairer, avec l’inscription de ce savoir-faire au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, par l’Unesco. La nouvelle est tombée le 16 novembre, depuis Nairobi, au Kenya. « J’ai pensé à toutes celles d’il y a 300 ans, à nos frangines, dit Bénédicte Leclercq, chargée des dessins de l’atelier. Nous ne sommes qu’une toute petite partie, nous sommes d’une même communauté ».

« On parle, parfois. » Mais en général le silence est monacal. Les mains, lavées souvent pour ne pas salir la dentelle ; les lunettes sur le nez, les yeux fatigués tout près de l’ouvrage. Pour se détendre pendant la pause, Maria, la brune, garde à côté d’elle un roman historique. Seule trace de vie privée, chacune décore à sa façon le couvercle de sa boîte à ouvrage. Ici un calendrier, là des photos de famille… Thomas, lui, affiche le programme des Transmusicales de Rennes et sourit doucement.

La dentelle au point d’Alençon, que les grands de ce monde ont offerte aux femmes les plus puissantes ou les plus aimées, est trop riche pour servir encore de parure aujourd’hui. « Si un grand créateur de mode en voulait une pièce importante, nous sommes si peu qu’il devrait attendre sa commande une dizaine d’années », lance Maria Dos Santos avec un sourire pétillant. Elle finit justement un motif, quelques centimètres de rêve qui pourront être vendus au public du musée voisin… Mais au « prix » du travail, 7,50 € de l’heure. Dérisoire et luxueux : dans la vitrine, l’ouvrage étiqueté à 713 € justifie en toutes petites lettres : « 95 heures ». Fonctionnaires d’État, les dentellières payées en moyenne 1 500 € après dix ans de formation ne risquent pas d’acheter beaucoup de leur production.

Qu’importe : le label de l’Unesco leur a mis du baume au coeur. « L’important, c’est qu’on ne nous oublie pas et qu’on puisse continuer », dit Maria. Et elle ne pense pas seulement à la sauvegarde de son emploi : « Nous sommes les seules à porter ça sur nos épaules, il faut qu’il y ait encore des générations de dentellières. » Pour que ce savoir-faire, si chèrement acquis, traverse encore des siècles et des siècles. Car, si ça s’arrêtait…

[via] Béatrice Limon, ouest-france.fr

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