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Chaque jour, elle court chez six employeurs

Jocelyne Combis : « J'ai commencé à faire le ménage chez des clients. De fil en aiguille, on m'a appelée, sans doute parce qu'on était content de moi. Aujourd'hui, je suis obligée de refuser des heures. » Photo : Jean-Yves Desfoux

Elle a 47 balais, deux blouses et des bras d’acier. Dès 6 h, Jocelyne Combis frotte, astique et aspire le mobilier et les sols chez des particuliers et dans des entreprises. À pied, en bus, elle court d’adresse en adresse depuis cinq ans. Journée type d’un solide agent d’entretien…

8 h 30. « La priorité, ce sont les toilettes, les bureaux. L’aspirateur, c’est quand il y a besoin ». Jocelyne Combis vient d’enchaîner deux heures quarante de ménage dans les locaux d’une entreprise du centre d’Alençon. On la retrouve au bistrot. « Je suis une accro du café. Il me faut un pichet par jour ». Ce jour-là, elle porte cinq couches de vêtements, pour lutter contre le froid. Locataire d’un F4 dans un quartier populaire de la ville, Dondon -¯ c’est son surnom ¯ est davantage une femme de ‘surménage’ que de ménage. Du lundi au samedi, elle commence à 6 h, finit à 19 h, bosse pour deux sociétés de nettoyage, qui lui ont trouvé six employeurs différents.

« J’ai six bulletins de paie au total. Un arrêt maladie, ça complique tout ! Je ne suis pas payée au même taux horaire partout. Entre les chèques, les virements, les chèques emploi-service… mes salaires s’étalent entre le 30 du mois et le 12 du mois suivant. »

D’un client à l’autre, elle navigue en bus ou en battant le pavé, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Elle connaît les lignes par coeur, tous les horaires. Un train d’enfer. Les bons mois, elle gagne entre 1 200 € et 1 400 € net. « Tout dépend des jours fériés. C’est la première année que je paie des impôts. Je n’ai pas à me plaindre, mais faut être honnête : je pourrai jamais tenir le coup jusqu’à 62 ans »…

10 h. Dans un cabinet d’expertise comptable, à la sortie de la ville. Les manches retroussées, Jocelyne s’engouffre dans le local à ordures, soulève le couvercle du conteneur, empoigne un sac, le tire en grimaçant et le lâche dans la poubelle d’à côté. « Tu te rends compte de la force qu’il faut ? grogne-t-elle. Les gens qui ne font pas le tri sélectif, ça m’énerve. Comme ceux qui marchent sur un sol fraîchement lavé ou qui dessinent sur les murs. Manque de respect, ça ! »

En frottant, Jocelyne découvre aussi l’envers de la vie en entreprise. « Parfois, je trouve des trucs que je ne devrais pas dire : des culottes, des préservatifs… J’me marre ! Mais dans l’ensemble, les cuvettes sont plus propres depuis qu’il y a des affiches collées sur les portes des WC. » Elle préfère : elle ne sait « pas travailler avec des gants ».

Pour rincer sa serpillière, la salariée a dû demander que l’on installe un robinet d’eau chaude dans les toilettes du cabinet. Dans le bureau voisin, travaille Nathalie : « Si la femme de ménage n’est pas là, on le remarque et elle nous manque. On a une relation amicale avec elle ».

En 2005, après avoir élevé ses trois enfants, Jocelyne a découvert la vie de salarié. Formée au métier d’agent d’entretien, elle a appris à manier les produits professionnels : « Le pH neutre, c’est pour les sols ! » Son dos a profité de ces heures de cours : plutôt que de se pencher, elle fait avancer son chariot rempli de balais et de seaux en le poussant du genou.

12 h. Retour à la maison, avec les gésiers achetés en chemin, pour sa salade. Puis poulet basquaise au micro-ondes. Fin du repas à 12 h 30, pour redescendre prendre le bus dix minutes plus tard. « À 13 h 17 », correspondance pour Saint-Germain-du-Corbéis, une commune voisine.

Jacqueline et Pierre Barraud, 80 ans chacun, emploient Jocelyne depuis huit ans. « On se demande comment elle tient le coup. Elle est dévouée. C’est elle la maîtresse de maison, maintenant », dit Mme Barraud. Payée 10,50 € de l’heure, Jocelyne dispose d’un contrat de 32 heures par semaine. En plus du ménage, elle fait les courses, prépare la soupe, change les draps du couple, repasse le linge. « Je suis leur complément. Bon, faut que je parte à 15 h 57, parce que j’ai mon bus à 16 h 06. Tout est planifié. Je n’aime pas être en retard. »

19 h. Jocelyne quitte les locaux de la Caisse primaire d’assurance maladie : « 616 m2 et près d’une trentaine de bureaux à nettoyer, plus les WC, tout ça en deux heures, ce n’est pas évident ». Il neige. On propose notre voiture pour la ramener chez elle : « Combien de fois j’l’ai faite à pied, cette rue-là… »

Plus que 64 marches pour atteindre sa porte. « Je suis en forme, dit-elle. Je m’organise. Mais il faut travailler de plus en plus vite. C’est dur physiquement, ce métier. Le chiffon, le balai… J’ai mal aux bras, je fais tous les jours les mêmes gestes ».

Jocelyne Combis est partie deux fois en vacances dans sa vie. Elle a 47 ans, pas de voiture car elle a peur au volant, mais elle aime son boulot : « Peu de gens feraient ce que je fais. Oui je suis courageuse, oui je suis fière de moi, dit-elle, sans forfanterie. On se sent bien quand tout est propre, non ? »

[via] Jérôme Bezannier, ouest-france.fr

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